Réveillée par la lumière du jour, ce matin mes yeux s’ouvrent comme d’habitude. Pendant quelques secondes, je suis amnésique. J’ai oublié le discours qu’a tenu le président la veille au soir. J’ai oublié les milliers de news n’ayant plus qu’un mot à la bouche. Je respire et m’étire. C’est lorsque je prends mon téléphone en main que la réalité revient me frapper de plein fouet. Des dizaines de mails avec l’objet « COVID-19 » ou « Coronavirus », un nombre incalculable de messages demandant quelles sont les réelles consignes du confinement, je décide de m’arrêter là car un tour sur les réseaux sociaux me donnerait une overdose de tout ce chaos.
Non ce n’est pas l’introduction d’un roman de science-fonction. C’est le début de mon journal de bord en ces temps inconnus. J’ai trouvé important d’écrire et de raconter, de rapporter, lorsque l’humanité vit quelque chose d’inédit. Depuis quelques mois, la panique a saisi les êtres humains suite à la diffusion d’un virus dans le monde entier, donnant lieu à une pandémie. Nous sommes le jour 1 du confinement imposé par le gouvernement, ayant confiance dans le ravitaillement des produits de première nécessité, je ne me suis pas précipitée pour aller faire des provisions. Il me reste donc deux rouleaux de papier toilette, un kilo de pommes de terre, un peu de riz, des vitamines et il parait que les rayons des supermarchés sont déjà vides. Pour l’instant, je gère mon stress en me disant que les rayons seront bientôt réapprovisionnés. Je suis indépendante, le travail ne change pas trop pour moi à part que je ne traine plus dans les cafés et les espaces de coworking, mon porte-monnaie me remercie. Etant une personne à risques, avec mon compagnon on a décidé de mettre en place une routine stricte dès qu’on sort de l’appartement. Interdit de toucher notre téléphone pour ne pas ramener de microbes, et lavage de mains intensif à chaque retour avant de toucher quoi que ce soit.
Nous avions tous jusqu’à midi pour s’organiser, choisir l’endroit où nous allons rester, et surtout avec qui. J’insiste sur ce dernier point, car je pense que cela va être une grande épreuve pour certaines relations. Les couples qui auront survécu à cette période d’enfermement pourront être fiers. Soyons clairs, c’est une période de test. C’est le moment de savoir si l’on peut supporter ses enfants. C’est le moment de savoir également si l’on peut se retrouver seul avec soi-même pour ceux qui sont isolés. C’est le moment de savoir qui peut faire preuve de solidarité. C’est le moment de découvrir à quel point nos amitiés sont solides. C’est le moment d’observer jusqu’où va notre créativité. Alors comment s’organise-t-on ? Télétravail complet ou partiel, chômage technique, chômage partiel. Ma soeur court chercher les médicaments pour son chat tandis que mon père se demande si son entreprise ne va pas se retrouver sans client et donc sans entrées d’argent. Le copain de ma petite soeur s’est mis en arrêt maladie et est ravi de pouvoir jouer aux jeux vidéos toute la journée. Chacun réagit différemment. Il y en a qui s’affolent sur les réseaux sociaux alors que pendant ce temps là mes voisins sont dans le déni et font jouer leurs enfants dans la rue. Certains philosophes se demandent quelle est la symbolique cachée derrière cet évènement marquant dans nos vies ? Est-ce la Terre qui se venge de nous, ses parasites ? Est-ce une césure dans notre modèle économique entrainant une déglobalisation ? Est-ce un étrange hasard permettant à l’être humain de ralentir son rythme effréné pour réfléchir sur ce qui compte réellement pour lui ?
Adaptabilité, c’est le mot qui me vient à l’esprit en ce premier jour. Nouvelles organisations. Mes peurs pour l’instant : que mes proches faibles soient contaminés, que mes clients mettent en pause leurs projets, que mon chien s’ennuie et ne puisse pas se dépenser comme il le voudrait, attraper le virus et le transmettre à mes proches.
Mes regrets pour le moment : ne pas pouvoir partir en vacances avec ma famille que je n’ai pas vu depuis quatre mois, ne pas pouvoir fêter les quatre-vingts ans de mon papy au Portugal que je n’ai pas vu depuis trois ans.
Premier scénario non commun du confinement : mes voisins sont revenus en panique de leur trip en van dans la forêt étalant toutes leurs affaires et leurs courses (de quoi vivre pour au moins un mois) dans l’entrée tandis que le corps médical vient me rendre visite avec des gants et un masque. « Je sais cela fait un peu peur, mais on est obligé. » me dit-il un peu gêné. Il me raconte s’être déjà fait controlé par la police, on ne peut pas circuler sans une bonne raison. « On est en guerre » a dit le président hier. « La ville se vide déjà » me rapporte le jeune homme. On se souhaite bon courage mutuellement. J’ai vraiment une pensée à toutes ces personnes qui travaillent avec les malades, mais aussi aux personnes qui tiennent les pharmacies, les boutiques alimentaires et autres et qui restent au contact de la population. Ils sont courageux, n’ont souvent pas le choix. Cela représente une forme d’engagement et je leur en suis reconnaissante.
Première sortie du chien : je m’attendais à moins de monde dans ma rue. Malgré l’interdiction, un couple joue avec leur enfant. J’oscille entre agacement et attendrissement. Ils ont l’air heureux mais se rendent-ils compte qu’ils mettent en danger les autres passants ? Le père tousse dans son coude quand je passe à côté de lui. En tant que personne à risques c’est difficile de ne pas sombrer dans la paranoïa. Il est au milieu de la route, le mètre de sécurité est presque impossible à respecter. Passé ce premier obstacle, je rencontre un voisin âgé qui promène lui aussi son chien. Les laisses nous séparent créant une distance de sécurité raisonnable pendant que nos chiens peuvent se socialiser. La scène est drôle voir burlesque. Deux personnes se tenant loin l’une de l’autre comme si « elles avaient la peste » alors que leurs chiens s’embrassent sans gêne. Ce contact social me rattache au monde, me sort de ma bulle. Oui, je ne suis pas la seule à être en quarantaine. Et lui, sa femme est-elle chez lui ? Quelqu’un fait-il ses courses pour lui ? Je rentre chez moi, je me déchausse, je me lave les mains. Au moins vingt secondes, au moins le temps de réciter une prière bouddhiste nommée les quatre incommensurables (je la récite deux fois pour être sûre) :
Que tous les êtres soient heureux
Que tous soient libérés de la souffrance
Que personne ne soit jamais séparé du bonheur
Que tous demeurent dans l’équanimité,
libérés de la haine et de l’attachement.
Parce qu’en temps de crise, un peu de foi ne fait jamais de mal. Parce qu’en temps de crise, ça fait du bien de penser à plus grand que soi. Parce qu’en temps de crise, prier est la meilleure chose à faire pour garder espoir.