Je dis jour quatre, mais en réalité, on est à la maison depuis dimanche car il nous a été fortement recommandé de rester chez nous dès samedi soir, on est vendredi alors ça va bientôt faire une semaine. Je suis moins angoissée qu’hier. Je me sens bien car tout le monde s’est habitué à donner de ses nouvelles numériquement et du coup j’ai l’impression que paradoxalement nous resserrons nos liens. Certaines barrières illusoires se lèvent en temps de crise. Cela rapproche les êtres humains de vivre une même difficulté, on a plus de compassion.
J’ai quand même eu un accès de colère disproportionné quand j’ai vu que la console que je comptais me faire livrer pour me divertir durant cette période de confinement était en rupture de stock. C’est le jour de la sortie d’un jeu très attendu et tout le monde s’est rué dessus, forcément le contexte l’impose. Les seules consoles en stock ont doublé de prix. J’insiste alors sur la pratique de méthodes comme la méditation et le yoga qui sont essentielles en cette période de tension ! La nervosité peut parfois être perfide et se dissimuler à l’intérieur de nous, parce que le déni c’est plus facile : hop je mets tout sous le tapis. Jusqu’à ce que le partenaire trébuche sur la pointe du fameux tapis et là c’est le drame. J’ai la chance d’être confinée avec une personne pleine de sagesse et de rationalité qui équilibre la balance de la boule de nerfs angoissée que je suis. Quand on est « coincé » avec quelqu’un sans en avoir le choix, établir ses propres limites est très important. La communication joue également un rôle primordial, sinon dans le temps les choses risquent vraiment de s’envenimer. Donc suite à ce petit accès de panique devant ces trois petits mots écrits en rouge sur mon écran « Rupture de stock », j’ai vite sorti mon tapis de yoga, mis une musique relaxante, et pris conscience de ma respiration et de la contraction de mes muscles. Il suffit de même pas dix minutes, si on le fait en étant pleinement présent à son corps et son souffle, pour redescendre la pression.
J’ai envoyé Julien faire les courses. Il s’est équipé d’une grosse écharpe en laine et de ses gants de scooter. Je lui avais fait une petite liste écrite à la main pour pas qu’il ait à sortir son téléphone. On a presque tout trouvé, donc pas de pénurie comme s’en inquiétait beaucoup. Il manque du pain et des chips, mais ça arrive tout autant en temps ordinaire. Quand il est revenu, on a pris des mesures un peu extrêmes. On a mis ses vêtements directement dans la machine à laver et il est parti se doucher. Pendant ce temps là, je découvre dans les sacs de courses trois énormes patates douces. Je n’ai jamais vu de patates douces aussi grosses de toute ma vie. Je suis partie en fou rire, mes nerfs ont lâché, et c’était comme une grosse respiration parmi le tumulte de ces derniers jours.
Hier, j’ai fait une journée sans réseaux sociaux, et cela m’a fait un bien fou de prendre du recul. De la distance face à la panique générale. Aujourd’hui, j’ai fait la même chose avec les informations et l’angoisse retombe peu à peu. Il y a beaucoup de choses que je ne peux pas contrôler comme les informations sur la durée réelle du confinement, les réapprovisionnement des stocks multimédias, les personnes qui continuent de se promener en masse en ville ou sur les bords de fleuves ! On ne peut pas faire grand chose face à l’ignorance des autres. On a beau les sensibiliser, certains ne comprennent toujours pas l’ampleur du problème. J’ai du mal à voir l’intérêt d’un confinement si tout le monde ne respecte pas la règle. Ces petites choses, si je ne les accepte pas, mises bout à bout peuvent vite devenir pesantes et elles finiront par m’écraser. Ce sont des faits qui existent en dehors de ma propre volonté. La seule chose que je peux faire, c’est d’agir sur mon propre esprit.
Pendant ce temps là, le printemps se réveille doucement, les oiseaux chantent, et la rumeur du prolongement de la période de confinement se propage dans les murmures.
Moments d’émotions :
– Les gens se réunissent tous à la fenêtre à vingt heures pour applaudir le personnel médical, des sifflements et des cris d’encouragement fusent. J’en ai les larmes aux yeux.
– Julien s’est effondré quand il a vu que les McDonald’s avaient fermé.